REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

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Autrefois les hommes étaient attelés à la charrue ; ils étaient sacrifiés à des travaux gigantesques, et la construction des remparts de Babylone où plusieurs chars marchaient de front, l'édification des Pyramides et l'installation des Sphinx ont coûté plus que dix sanglantes batailles. Plus tard, les animaux furent asservis concurremment aux hommes et l'on vit, dans la jeune Lutèce, des bœufs accouplés sous le joug traîner le char où se prélassaient les rois fainéants de la seconde race.

Ce préambule a pour objet de montrer à ceux qui nous écoutent, que toutes les questions posées dans ce centre sympathique aux Esprits obtiennent leur solution, soit par l'un, soit par l'autre d'entre nous. Ce cher Jacquard, cette gloire du métier à tisser, cet artisan ingénieux qui est tombé comme un vaillant soldat au champ d'honneur du travail, a traité un côté des questions économiques qui se rattachent au labeur humanitaire. Il m'a quelque peu mis en cause ; en parlant des modifications que j'avais moi-même apportées à l'art du tisseur et du tisserand, il m'a, pour ainsi dire, appelé à jouer ma partie dans ce concerto spirituel. C'est pourquoi, trouvant parmi vous un médium, né comme moi dans la vieille cité des Allobroges, cette reine du Grésivaudan, je m'en empare avec la permission de ses guides habituels et viens compléter pour une partie l'exposé que mon illustre ami de Lyon vous a donné par un autre médium.

Dans sa dissertation, fort remarquable du reste, il exprime encore certaines plaintes qui, sous l'inventeur, font retrouver l'ouvrier jaloux de son gagne-pain et redoutant le chômage homicide ; on sent que le père de famille s'épouvante d'une suspension de travail duquel dépend la vie des siens ; on devine le citoyen qui frémit devant le désastre qui peut atteindre la majorité de ses compatriotes. Ce sentiment est certes des plus honorables, mais dénote un point de vue d'une certaine étroitesse ; je viens traiter la même question que Jacquard, sinon plus largement que lui, du moins à un peint de vue plus général ; toutefois je dois constater, pour rendre hommage à qui de droit, que la généreuse conclusion de la communication de mon ami rachète amplement le côté défectueux que je signale.

L'homme n'est point fait pour rester un instrument inintelligent de productions : par ses aptitudes et sa place dans la création, par sa destinée, il est appelé à une autre fonction que celle de machine, à un autre rôle que celui de cheval de manège ; il doit, dans les limites posées par son état d'avancement, arriver à produire de plus en plus intellectuellement et s'émanciper enfin de cet état de servilisme et de rouage inintelligent auquel pendant tant de générations il est resté asservi. L'ouvrier est appelé à devenir ingénieur, et à voir substituer à ses bras laborieux des machines plus actives, plus infatigables et plus précises que lui ; l'artisan doit devenir artiste et conduire le travail mécanique par un effort de sa pensée et non plus par un effort de ses bras. Là est la preuve irrécusable de cette loi si large du progrès qui régit toutes les humanités.

Maintenant qu'il vous est permis d'entrevoir, par une échappée sur la vie future, la vérité des destinées humaines ; maintenant que vous êtes convaincus que cette existence n'est qu'un des chaînons de votre vie immortelle, je puis bien m'écrier : Qu'importe que cent mille individus succombent lorsqu'une machine a été découverte pour faire le travail de ces cent mille individus ! Pour le philosophe, qui s'élève au-dessus des préjugés et des intérêts terrestres, ce fait prouve tout uniment que l'homme n'était plus dans sa voie quand il se consacrait à ce labeur condamné par la Providence. En effet, c'est dans le champ de son intelligence que l'homme doit désormais faire passer la herse et la charrue qui fécondent ; et c'est par son intelligence seule qu'il pourra, qu'il devra arriver à mieux.

Ne donnez pas, je vous prie, à mes paroles un sens par trop révolutionnaire ; non ! mais laissez-leur le sens large et supérieur que comporte un enseignement spirite qui s'adresse à des intelligences déjà avancées et prêtes à comprendre toute la portée de nos instructions. Il est constant que si, d'aujourd'hui à demain, l'artisan abandonnait le métier qui le fait vivre, sous prétexte que, dans un temps donné, celui-ci sera remplacé par un mécanisme ou toute autre invention, il est constant qu'il suivrait une voie fatale et contraire à toutes les leçons que le Spiritisme a données.

Mais toutes nos réflexions n'ont qu'un but, c'est de démontrer que nul ne doit crier contre un progrès qui substitue à des bras humains les ressorts et les rouages d'une mécanique. Au surplus, il est bon d'ajouter que l'humanité a payé sa large rançon à la misère, et que, l'instruction pénétrant de plus en plus toutes les couches sociales, chaque individu devient de plus en plus apte aux fonctions si intelligemment nommées libérales.

Il est difficile à un Esprit qui se communique pour la première fois à un médium d'exprimer bien nettement sa pensée ; vous excuserez donc le décousu de ma communication, dont voici la conclusion en deux mots : L'homme est un agent spirituel qui doit arriver dans une période non éloignée à assouplir à son service et pour toutes les opérations matérielles la matière elle-même, en lui donnant pour unique moteur l'intelligence qui s'épanouit dans les cerveaux humains.

Vaucanson.

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