« Décidément
le Spiritisme est une chose horrible, car jamais ni science, ni doctrine
hérétique, ni l'athéisme lui-même, n'ont soulevé contre eux une aussi forte
émeute au sein de l'Eglise, que l'a fait le Spiritisme. Toutes les ressources
imaginables, loyales ou non, ont été mises en jeu pour l'étouffer d'abord, et
puis, quand l'impossibilité de ce meurtre eut été démontrée, pour le dénaturer
et le présenter sous un aspect noir de péchés. Pauvre Spiritisme ! il ne
demandait qu'une petite place au soleil pour faire jouir gratuitement le monde
de ses bienfaits ; il ne demandait à ces gens qui, en qualité de disciples
en titre du Christ, de l'Homme-amour, sont censés porter le mot de charité
inscrit en lettres brillantes sur leurs surplis, il ne leur demandait qu'à
pouvoir ramener dans la bonne voie ces milliers de brebis qu'ils avaient été
incapable d'y maintenir ; il ne leur demandait qu'à pouvoir les seconder
dans leur œuvre de dévouement, en guérissant par une espérance fondée les
pauvres cœurs rongés par la gangrène du doute, ‑ et à cette demande si
désintéressée, si pure d'intention, il n'a été répondu que par un décret de
proscription ! Vraiment on voit d'étranges choses dans ce monde : les
messagers officiels de la charité damnent plus des neuf dixièmes des hommes
parce qu'ils échappent à leur influence, et ils damnent plus profondément
encore ceux qui veulent sauver ces malheureux !
Sans
nul doute donc, le Spiritisme est chose bien coupable, puisqu'il est tellement
combattu, et il est bien étonnant qu'une doctrine aussi perverse ait fait tant
de chemin en un si court laps de temps. Mais ce qui doit sembler bien plus
étonnant encore, c'est que cet abominable Spiritisme est si solidement établi
et si logique, que tous les arguments qu'on lui oppose, loin de le faire
crouler et de le réduire au néant, loin même de l'ébranler, viennent tous, au
contraire, contribuer, par leur inanité et leur impuissance manifestes, à sa
solidification et à sa propagation. C'est en effet aux entraves qu'on a voulu
lui susciter, qu'il doit en notable partie la rapidité de son extension, et les
prédications sans frein de certains de nos adversaires n'ont certes pas peu
aidé à le généraliser. Il en est ainsi dans l'ordre des choses : la vérité
n'a rien à craindre de ses détracteurs, et ce sont ceux-là mêmes qui
contribuent involontairement à la faire triompher. Le Spiritisme est un immense
foyer de chaleur et de lumière, et qui souffle sur ce brasier, outre
qu'infailliblement il s'y brûle quelque peu, n'obtient d'autre résultat que de
la raviver davantage.
Cependant
mandements et conférences paraissent insuffisants pour détruire le Spiritisme
(nous sommes loin de nier cette insuffisance patente), aussi la Congrégation
romaine vient-elle de mettre à l'Index tous les livres de M Allan Kardec,
livres qui contiennent l'enseignement universel des Esprits, et auxquels,
Spirites, nous nous rallions tous. Qu'on nous permette de faire à cet égard les
deux réflexions suivantes : Les livres spirites en question renferment
dans toute leur pureté et avec les développements que l'état actuel de l'esprit
humain exige, les enseignements et les préceptes de Jésus, en qui les Esprits
reconnaissent un Messie : condamner ces livres, n'est-ce donc pas
condamner du même coup les paroles du Christ, et mettre ces livres à l'Index,
n'est-ce pas y mettre en quelque sorte les évangiles qui sont d'accord avec
nous ? Il nous paraît que oui, mais il est vrai que nous ne sommes pas
infaillibles comme vous ! Seconde réflexion : Cette mesure qu'on
prend aujourd'hui, n'est-elle pas tant soit peu tardive ? Pourquoi
attendre si longtemps ? Outre que c'est plus ou moins inexplicable (à
moins de croire que le Spiritisme vous semble tellement vrai et que vous êtes
tellement persuadés de son triomphe, que vous avez hésité longtemps à
l'attaquer carrément de face, et qu'un bien puissant intérêt personnel (car
nous ne vous ferons pas l'injure de vous croire ultra ignorants) vous a seul pu
décider à le faire), outre, disons-nous, que c'est plus ou moins inexplicable,
c'est encore très maladroit. En effet, le Livre des Esprits, le Livre des
Médiums et l'Imitation de l'Évangile selon le Spiritisme, sont actuellement
entre les mains de milliers de personnes, et nous doutons fort que la
condamnation de la Congrégation de Rome puisse faire trouver maintenant mauvais
et abject ce que chacun a jugé grand et noble.
Quoi
qu'il en soit, les livres spirites sont mis à l'Index. Tant mieux, car beaucoup
de ceux qui ne les ont pas encore lus les dévoreront ; tant mieux !
car des dix personnes qui les parcourront, sept au moins seront convaincues, ou
fortement ébranlées et désireuses d'étudier les phénomènes spirites ; tant
mieux ! car nos adversaires eux-mêmes, voyant leurs efforts n'aboutir qu'à
des résultats diamétralement contraires à ceux qu'ils en espéraient, se
rallieront à nous, s'ils possèdent la sincérité, le désintéressement et les lumières
que leur ministère comporte. Ainsi le veut d'ailleurs la loi de Dieu :
rien au monde ne peut rester éternellement stationnaire, mais tout progresse,
et l'idée religieuse doit suivre le progrès général si elle ne veut pas
disparaître.
« Qu'ils
continuent donc leur croisade, nos adversaires. Ils ont déjà mis en jeu les
mandements, les sermons, les cours publics, les influences occultes et souvent
victorieuses en apparence, à cause de l'état dépendant de ceux sur lesquels
elles pèsent tyranniquement ; ils ont usé de l'autodafé, en brûlant
publiquement nos livres à Barcelone ; n'en ayant pu brûler que quelques
exemplaires, et ceux-ci se remplaçant en nombre étonnant, ils les ont mis enfin
à l'Index. L'inquisition n'étant, hélas ! plus tolérée, quoiqu'elle soit
loin de ne plus exister sous une autre forme et à l'aide des influences
occultes dont nous venons de parler, il ne leur reste plus que
l'excommunication de tous les Spirites en masse, c'est-à-dire d'une notable
fraction d'hommes et, en particulier, d'une très notable fraction de chrétiens
(nous ne parlons que des Spirites avoués, car le nombre de ceux qui le sont
sans le savoir est inappréciable). »