Essai théorique sur les miroirs magiques
On
donne le nom de miroirs magiques à des objets, généralement à reflet brillant,
tels que glaces, plaques métalliques, carafes, verres, etc., dans lesquels
certaines personnes voient des images qui leur retracent des événements
éloignés, passés, présents et quelquefois futurs, et les mettent sur la voie
des réponses aux questions qui leur sont adressées. Ce phénomène n'est pas
extrêmement rare ; les esprits forts le taxent de croyance superstitieuse,
d'effet de l'imagination, de jonglerie, comme tout ce qu'ils ne peuvent
expliquer par les lois naturelles connues ; ainsi en est-il pour eux de
tous les effets somnambuliques et médianimiques. Mais si le fait existe, leur
opinion ne saurait prévaloir contre la réalité, et l'on est bien forcé
d'admettre l'existence d'une nouvelle loi encore inobservée.
Jusqu'à
présent nous ne nous sommes point étendu sur ce sujet, malgré les faits
nombreux qui nous étaient rapportés, parce que nous avons pour principe de
n'affirmer que ce dont nous pouvons nous rendre compte, tenant toujours, autant
que possible, à dire le pourquoi et le comment des choses, c'est-à-dire de
joindre au récit une explication rationnelle. Nous avons mentionné le fait sur
le témoignage de personnes sérieuses et honorables ; mais, tout en
admettant la possibilité du phénomène et même sa réalité, nous n'avions point
encore vu assez clairement à quelle loi il pouvait se rattacher pour être en mesure d'en donner la solution, c'est pourquoi
nous nous sommes abstenu. Les récits que nous avions sous les yeux pouvaient
d'ailleurs être empreints d'exagération ; ils manquaient surtout de
certains détails d'observation qui, seuls, peuvent aider à fixer les idées.
Aujourd'hui que nous avons vu, observé et étudié, nous pouvons parler en
connaissance de cause.
Relatons
d'abord sommairement les faits dont nous avons été témoin. Nous ne prétendons
pas convaincre les incrédules ; nous voulons seulement essayer d'éclaircir
un point encore obscur de la science spirite.
Dans
le cours de l'excursion spirite que nous avons faite cette année, étant allé
passer quelques jours chez M. de W…, membre de la Société spirite de Paris,
dans le canton de Berne en Suisse, ce dernier nous parla d'un paysan des
environs, tourneur de son état, qui jouit de la faculté de découvrir les
sources, et de voir dans un verre les réponses aux questions qu'on lui adresse.
Pour la découverte des sources, il se transporte parfois sur les lieux, et se
sert de la baguette usitée en pareil cas ; d'autres fois, sans se
déplacer, il se sert de son verre et donne les indications nécessaires. Voici
un remarquable exemple de sa lucidité.
Dans
la propriété de M. de W… existait une très longue conduite pour les eaux ;
mais, par suite de certaines causes locales, il eût été préférable que la prise
d'eau fût plus rapprochée. Afin de s'épargner, s'il était possible, des
fouilles inutiles, M. de W… eut recours au découvreur de sources. Celui-ci,
sans quitter sa chambre, lui dit, en regardant dans son verre : « Sur
le parcours des tuyaux, il existe une autre source ; elle est à tant de
pieds de profondeur au-dessous du quatorzième tuyau, à partir de tel
point. » La chose fut trouvée telle qu'il l'avait indiquée. L'occasion
était trop favorable pour n'en pas profiter dans l'intérêt de notre
instruction. Nous nous rendîmes donc chez cet homme avec M. et Mme de W…
et deux autres personnes. Quelques renseignements sur son compte ne sont pas
sans utilité.
C'est
un homme de soixante-quatre ans, assez grand, mince, d'une bonne santé, quoique
impotent, et pouvant à grand-peine se transporter. Il est protestant, très
religieux, et fait sa lecture habituelle de la Bible et de livres de prières.
Son infirmité, suite d'une maladie, date de l'âge de trente ans. C'est à cette
époque que sa faculté s'est révélée en lui ; il dit que c'est Dieu qui a
voulu lui donner une compensation. Sa figure est expressive et gaie, son œil
vif, intelligent et pénétrant. Il ne parle que le patois allemand du pays, et
n'entend pas un mot de français. Il est marié et père de famille ; il vit
du produit de quelques pièces de terre, et de son travail personnel ; de
sorte que, sans être dans une position aisée, il n'est pas dans le besoin.
Lorsque
des personnes inconnues se présentent chez lui pour le consulter, son premier
mouvement est celui de la défiance ; il flaire en quelque sorte leurs
intentions, et, pour peu que son impression soit défavorable, il répond qu'il
ne s'occupe que des sources, et refuse toute expérience avec son verre. Il
refuse surtout de répondre aux questions qui auraient pour but la cupidité,
comme la recherche des trésors, les spéculations hasardeuses, ou
l'accomplissement de quelque mauvais dessein, à toutes celles, en un mot, qui
blesseraient la loyauté et la délicatesse ; il dit que s'il s'occupait de
ces choses-là, Dieu lui retirerait sa faculté. Lorsqu'on lui est présenté par
des personnes de connaissance, et si on lui est sympathique, sa physionomie
devient ouverte et bienveillante. Si le motif pour lequel on l'interroge est
sérieux et utile, il s'y intéresse et se complaît dans les recherches ; si
les questions sont futiles et de pure curiosité, si l'on s'adresse à lui comme
à un diseur de bonne aventure, il ne répond pas.
Grâce
à la présence et à la recommandation de M. de W…, nous avons été assez heureux
pour être dans de bonnes conditions vis-à-vis de lui, et nous n'avons eu qu'à
nous louer de son accueil cordial et de sa bonne volonté.
Cet
homme est de la plus complète ignorance en ce qui concerne le Spiritisme ;
il n'a pas la moindre idée des médiums, ni des évocations, ni de l'intervention
des Esprits, ni de l'action fluidique ; pour lui, sa faculté est dans ses
nerfs, dans une force qu'il ne s'explique pas, et qu'il n'a jamais cherché à
s'expliquer, car, lorsque nous avons voulu lui faire dire de quelle manière il
voyait dans son verre, il nous a paru que c'était la première fois que son
attention était portée sur ce point ; or, c'était pour nous une chose
essentielle ; ce n'est qu'après des questions successives que nous sommes
parvenu à comprendre, ou mieux à débrouiller sa pensée.
Son
verre est un verre à boire ordinaire, vide ; mais c'est toujours le même,
et qui ne sert qu'à cet usage ; il ne pourrait pas en employer d'autre. En
prévision d'un accident, il lui fut indiqué où il pouvait en trouver un pour le
remplacer ; se l'étant procuré, il le tient en réserve. Quand il
l'interroge, il le tient dans le creux de la main, et regarde dans
l'intérieur ; si le verre est placé sur la table, il ne voit rien. Quand
il fixe son regard sur le fond, ses yeux semblent se voiler un instant, puis
reprennent bientôt leur éclat habituel ; alors, regardant alternativement
son verre et ses interlocuteurs, il parle comme d'habitude, disant ce qu'il
voit, répondant aux questions, d'une manière simple, naturelle et sans emphase.
Dans ses expériences il ne fait aucune invocation, n'emploie aucun signe
cabalistique, ne prononce ni formules, ni paroles sacramentelles. Lorsqu'une
question lui est faite, il concentre, dit-il, son attention et sa volonté sur le
sujet proposé en regardant au fond du verre, où se forment à l'instant les
images des personnes et des choses relatives à l'objet qui l'occupe. Quant aux
personnes, il les dépeint au physique et au moral, comme le ferait un
somnambule lucide, de manière à ne laisser aucun doute sur leur identité. Il
décrit aussi, avec plus ou moins de précision, les lieux qu'il ne connaît
pas ; ceci détruit l'idée que ce qu'il voit est un jeu de son imagination.
Lorsqu'il a dit à M. de W… que la source était à tant de pieds au-dessous
du quatorzième tuyau, il ne pouvait certainement pas le prendre dans son propre
cerveau. Pour se rendre plus intelligible, il se sert au besoin d'un morceau de
craie, avec lequel il trace sur la table des points, des ronds, des lignes de
diverses grandeurs, indiquant les personnes et les lieux dont il parle, leur
position relative, etc., de manière à n'avoir qu'à les montrer quand il y
revient, en disant : C'est celui-ci qui fait telle chose, ou c'est dans
tel endroit que telle chose se passe.
Un
jour, une dame l'interrogeait sur le sort d'une jeune fille enlevée par des
Bohémiens depuis plus de quinze ans, sans qu'on ait pu en avoir des nouvelles
depuis lors. Partant, à la manière des somnambules, de l'endroit où la chose
avait eu lieu, il suivait les traces de l'enfant qu'il disait voir dans son
verre, et qui avait, selon lui, suivi les bords d'une grande eau, c'est-à-dire,
la mer. Il affirma qu'elle vivait, décrivit sa situation, sans toutefois
pouvoir préciser le lieu de sa résidence, parce que, dit-il, l'époque voulue
pour qu'elle fût rendue à sa mère n'était pas encore arrivée ; qu'il
fallait au préalable que certaines choses qu'il spécifia fussent accomplies, et
qu'alors une circonstance fortuite ferait que la mère reconnaîtrait son enfant.
Afin de pouvoir mieux préciser la direction à suivre pour la retrouver, il
demanda qu'une autre fois on lui apportât une carte géographique. Cette carte
lui fut montrée en notre présence le jour de notre visite ; mais, comme il
n'a aucune notion de géographie, on fut obligé de lui expliquer ce qui
représentait la mer, les fleuves, les villes, les routes et les
montagnes ; alors, mettant le doigt sur le point de départ, il indiqua la
route qui conduisait au lieu en question. Quoiqu'il se fût écoulé un certain
temps depuis la première consultation, il se ressouvint parfaitement de tout ce
qu'il avait dit, et fut le premier à parler de l'enfant avant qu'on le
questionnât.
Cette
affaire n'ayant pas encore reçu son dénouement, nous ne pouvons rien préjuger
sur le résultat de ses prévisions ; nous dirons seulement qu'à l'égard des
circonstances passées et connues, il avait vu très juste. Nous ne rapportons ce
fait que comme spécimen de sa manière de voir.
Pour
ce qui nous concerne personnellement, nous avons également pu constater sa
lucidité. Sans question préalable, et même sans que nous y songeassions, il
nous parla spontanément d'une affection dont nous souffrons depuis un certain
temps, et dont il assigna le terme ; et, chose remarquable, c'est que ce terme
est précisément celui qu'avait indiqué la somnambule, madame Roger, que nous
avions consulté à cet effet, six mois auparavant.
Il
ne nous connaissait ni de vue ni de nom, et quoique, dans son ignorance, il lui
fût difficile de comprendre la nature de nos travaux, par des circonlocutions,
des images et des expressions à sa manière, il en indiqua, à ne pas s'y
méprendre, le but, les tendances et le résultat inévitable ; ce dernier
point surtout paraissait l'intéresser vivement, car il répétait sans cesse que
la chose devait s'accomplir, que nous y étions destiné depuis notre naissance,
et que rien ne pouvait s'y opposer. De lui-même il parla de la personne appelée
à continuer l'œuvre après notre mort, des obstacles que certains individus
cherchaient à jeter sur notre route, des rivalités jalouses et des ambitions
personnelles ; il désigna d'une manière non équivoque ceux qui pouvaient
utilement nous seconder et ceux dont nous devions nous défier, revenant sans
cesse sur les uns et sur les autres avec une sorte d'acharnement ; il
entra enfin dans des détails circonstanciés d'une parfaite justesse, d'autant
plus remarquables que la plupart n'étaient provoqués par aucune question, et
qu'ils coïncidaient de tous points avec les révélations que nous ont faites mantes
fois nos guides spirituels pour notre gouverne.
Ce
genre de recherches sortait totalement des habitudes et des connaissances de
cet homme, ainsi qu'il le disait lui-même ; à plusieurs reprises il
répéta : « Je dis ici beaucoup de choses que je ne dirais pas à
d'autres, parce qu'ils ne me comprendraient pas ; mais lui (en nous
désignant) me comprend parfaitement. » En effet, il y avait des choses
dites à dessein à demi-mot, qui n'étaient intelligibles que pour nous. Nous
vîmes dans ce fait une marque spéciale de la bienveillance des bons Esprits qui
ont voulu nous confirmer, par ce moyen nouveau et inattendu, les instructions
qu'ils nous avaient données en d'autres circonstances, en même temps que
c'était pour nous un sujet d'observation et d'étude.
Il
est donc avéré pour nous que cet homme est doué d'une faculté spéciale, et
qu'il voit réellement. Voit-il toujours juste ? Là n'est pas la
question ; il suffit qu'il ait vu assez souvent pour constater l'existence
du phénomène ; l'infaillibilité n'est donnée à personne sur la terre, par
la raison que personne n'y jouit de la perfection absolue. Comment
voit-il ? Là est le point essentiel et qui ne peut se déduire que de
l'observation.
Par
suite de son manque d'instruction et des préjugés du milieu dans lequel il a
toujours vécu, il est imbu de certaines idées superstitieuses qu'il mêle à ses
récits ; c'est ainsi, par exemple, qu'il croit de bonne foi à l'influence
des planètes sur la destinée des individus, et à celle des jours heureux et
malheureux. D'après ce qu'il avait vu de nous, nous devions être né sous, nous
ne savons plus quel signe ; nous devions nous abstenir d'entreprendre des
choses importantes à tel jour de la lune. Nous n'avons pas essayé de le
dissuader, ce à quoi nous n'aurions probablement pas réussi, et n'aurait servi
qu'à le troubler ; mais, parce qu'il a quelques idées fausses, ce n'est
pas un motif pour dénier la faculté qu'il possède ; car, de ce qu'il y a
de mauvais grains dans un tas de blé, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de
bon blé ; et de ce qu'un homme ne voit pas toujours juste, il ne s'ensuit
pas qu'il ne voit pas du tout.
Lorsqu'il
se fut rendu compte à peu près du but et des résultats de nos travaux, il
demanda très sérieusement et avec une sorte d'anxiété à l'oreille de M. de W…,
si nous aurions par hasard trouvé le sixième livre de Moïse. Or, selon une
tradition populaire dans certaines localités, Moïse aurait écrit un sixième
livre contenant de nouvelles révélations et l'explication de tout ce qu'il y a
d'obscur dans les cinq premiers. Selon la même tradition, ce livre doit être un
jour découvert. Si quelque chose peut donner la clef de toutes les allégories
des Ecritures, c'est assurément le Spiritisme, qui réaliserait ainsi l'idée
attachée au prétendu sixième livre de Moïse. Il est assez singulier que cet
homme ait conçu cette pensée.
Un
examen attentif des faits ci-dessus démontre une complète analogie entre cette
faculté et le phénomène désigné sous les noms de seconde vue, double vue, ou
somnambulisme éveillé, et qui est décrit dans le Livre des Esprits, chap.
VIII : Emancipation de l'âme, et dans le Livre des Médiums, chap. XIV…
Elle a donc son principe dans la propriété rayonnante du fluide périsprital,
qui permet à l'âme, dans certains cas, de percevoir les choses à distance,
autrement dit, dans l'émancipation de l'âme, qui est une loi de nature. Ce ne
sont pas les yeux qui voient, c'est l'âme qui, par ses rayons, atteignant un
point donné, exerce son action au dehors et sans le concours des organes
corporels. Cette faculté, beaucoup plus commune qu'on ne le croit, se présente
avec des degrés d'intensité et des aspects très divers selon les
individus : chez les uns, elle se manifeste par la perception permanente
ou accidentelle, plus ou moins nette, des choses éloignées ; chez
d'autres, par la simple intuition de ces mêmes choses ; chez d'autres,
enfin, par la transmission de la pensée. Il est à remarquer que beaucoup la
possèdent sans s'en douter, et surtout sans s'en rendre compte ; elle est
inhérente à leur être, et leur semble tout aussi naturelle que celle de voir
par les yeux ; souvent même ils confondent ces deux perceptions. Si on
leur demande comment ils voient, la plupart du temps ils ne savent pas plus
l'expliquer qu'ils n'expliqueraient le mécanisme de la vision ordinaire.
Le
nombre des personnes qui jouissent spontanément de cette faculté, étant de
beaucoup le plus considérable, il en résulte qu'elle est indépendante de tout
appareil quelconque. Le verre dont cet homme se sert est un accessoire qui ne
lui est utile que par habitude, car nous avons constaté qu'en plusieurs
circonstances il décrivait les choses sans le regarder. Pour ce qui nous
concernait, notamment en parlant des individus, il les indiquait avec sa craie,
par les signes caractéristiques de leurs qualités et de leur position ;
c'est sur ces signes qu'il parlait en regardant sa table, sur laquelle il
semblait voir aussi bien que dans son verre qu'il regardait à peine ;
mais, pour lui, il le croit nécessaire, et voici comment on peut l'expliquer.
L'image
qu'il observe se forme dans les rayons du fluide périsprital qui lui en
transmettent la sensation ; son attention se concentrant dans le fond de
son verre, il y dirige les rayons fluidiques, et tout naturellement l'image s'y
concentre comme elle se concentrerait sur un objet quelconque : un verre
d'eau, une carafe, une feuille de papier, une carte, ou sur un point vague de
l'espace. C'est un moyen de fixer la pensée et de la circonscrire, et nous
sommes convaincu que quiconque exerce cette faculté à l'aide d'un objet
matériel, avec un peu d'exercice, et s'il avait la ferme volonté de s'en
passer, verrait tout aussi bien.
En
admettant toutefois, ce qui n'est pas encore prouvé ; que l'objet agisse
sur certaines organisations, à la façon des excitants, de manière à provoquer
le dégagement fluidique, et par suite l'isolement de l'Esprit, il est un fait
capital acquis à l'expérience, c'est qu'il n'existe aucune substance spéciale
jouissant à cet égard d'une propriété exclusive. L'homme en question ne voit
que dans un verre vide, tenu dans le creux de sa main, et ne peut voir dans le
premier verre venu ni dans son verre autrement placé. Si la propriété était
inhérente à la substance et à la forme de l'objet, pourquoi deux objets de même
nature et de même forme ne la posséderaient-ils pas pour le même
individu ? Pourquoi ce qui produit de l'effet sur l'un ne le produirait-il
pas sur un autre ? Pourquoi, enfin, tant de personnes possèdent-elles
cette faculté sans le secours d'aucun appareil ? C'est, ainsi que nous l'avons
dit, que la faculté est inhérente à l'individu et non au verre. L'image se
forme en lui-même, ou mieux dans les rayons fluidiques qui émanent de
lui ; le verre n'offre, pour ainsi dire, que le reflet de cette
image : c'est un effet et non la cause. Telle est la raison pour laquelle
tout le monde ne voit pas dans ce qu'on est convenu d'appeler les miroirs
magiques ; il ne suffit pas pour cela de la vue corporelle, il faut être
doué de la faculté appelée double vue, qui serait plus exactement nommée vue
spirituelle ; et cela est si vrai, que certaines personnes voient
parfaitement les yeux fermés.
La
vue spirituelle est en réalité le sixième sens ou sens spirituel dont on a tant
parlé, et qui, de même que les autres sens, peut être plus ou moins obtus ou
subtil ; il a pour agent le fluide périsprital, comme la vue corporelle a
pour agent le fluide lumineux ; de même que le rayonnement du fluide
lumineux apporte l'image des objets sur la rétine, le rayonnement du fluide
périsprital apporte à l'âme certaines images et certaines impressions ; ce
fluide, comme tous les autres fluides, a ses effets propres, ses propriétés sui
generis.
L'homme
étant composé de l'Esprit, du périsprit et du corps, pendant la vie les
perceptions et les sensations se produisent à la fois par les sens organiques
et par le sens spirituel ; après la mort, les sens organiques sont
détruits, mais, le périsprit restant, l'Esprit continue à percevoir par le sens
spirituel, dont la subtilité s'accroît en raison du dégagement de la matière. L'homme
en qui ce sens est développé jouit ainsi, par anticipation, d'une partie des
sensations de l'Esprit libre. Quoique amorti par la prédominance de la matière,
le sens spirituel n'en produit pas moins chez tous les hommes une multitude
d'effets réputés merveilleux, faute d'en connaître le principe.
Cette
faculté étant dans la nature, puisqu'elle tient à la constitution de l'Esprit,
a donc existé de tout temps ; mais, comme tous les effets dont la cause
est inconnue, l'ignorance l'attribuait à des causes surnaturelles. Ceux qui la
possédaient à un degré éminent, pouvant dire, savoir et faire des choses
au-dessus de la portée du vulgaire, les uns ont été accusés de pactiser avec le
diable, qualifiés de sorciers et brûlés vifs ; d'autres ont été béatifiés comme
ayant le don des miracles, tandis qu'en réalité tout se réduisait à
l'application d'une loi naturelle.
Revenons
aux miroirs magiques. Le mot magie, qui signifiait jadis science des sages, par
l'abus qu'en ont fait la superstition et le charlatanisme, a perdu sa
signification primitive ; il est aujourd'hui discrédité avec raison, et
nous croyons difficile de le réhabiliter, parce qu'il est désormais lié à
l'idée des opérations cabalistiques, des grimoires, des talismans et d'une
foule de pratiques superstitieuses condamnées par la saine raison. Le
Spiritisme, déclinant toute solidarité avec ces prétendues sciences, doit
éviter de s'approprier des termes qui pourraient fausser l'opinion en ce qui le
concerne. Dans le cas dont il s'agit, la qualification de magique est aussi
impropre que le serait celle de sorciers attribuée aux médiums ; la
désignation de ces objets sous le nom de miroirs spirituels nous paraît plus
exacte, parce qu'elle rappelle le principe en vertu duquel les effets se
produisent. A la nomenclature spirite on peut donc ajouter les noms de :
vue spirituelle, sens spirituel et miroirs spirituels.
Puisque
la nature, la forme et la substance de ces objets sont choses indifférentes, on
comprend que des individus doués de la vue spirituelle voient dans du marc de
café, dans des blancs d'œufs, dans le creux de la main ou sur des cartes, ce
que d'autres voient dans un verre d'eau, et disent parfois des choses vraies.
Ces objets et leurs combinaisons n'ont aucune signification par eux-mêmes ;
ce n'est qu'un moyen de fixer l'attention, un prétexte de parler, un maintien,
pour ainsi dire, car il est à remarquer que, dans ce cas, l'individu les
regarde à peine, et cependant s'il ne les avait pas devant lui, il croirait
qu'il lui manque quelque chose ; il serait désorienté comme le serait
notre homme s'il n'avait pas son verre dans la main ; il serait gêné pour
parler, comme certains orateurs qui ne savent rien dire s'ils ne sont pas à
leur place habituelle, ou s'ils n'ont pas à la main un cahier qu'ils ne lisent
pas.
Mais
s'il est quelques personnes sur lesquelles ces objets produisent l'effet de
miroirs spirituels, il y a aussi la foule bien autrement grande des gens qui,
n'ayant d'autre faculté que celle de voir par les yeux, et de posséder le
langage de convention affecté à ces signes, abusent les autres ou s'abusent
eux-mêmes ; puis celle également nombreuse des charlatans qui exploitent
la crédulité. La superstition seule a pu consacrer l'usage de ces procédés,
comme moyen de divination, et d'une foule d'autres qui n'ont pas plus de
valeur, en attribuant une vertu à des mots, une signification à des signes
matériels, à des combinaisons fortuites, qui n'ont aucune liaison nécessaire
avec l'objet de la demande ou de la pensée.
En
disant qu'à l'aide de ces procédés, certaines personnes peuvent parfois dire
des vérités, ce n'est donc point pour les réhabiliter dans l'opinion, mais pour
montrer que les idées superstitieuses ont parfois leur origine dans un principe
vrai, dénaturé par l'abus et l'ignorance. Le Spiritisme, en faisant connaître
la loi qui régit les rapports du monde visible et du monde invisible, détruit,
par cela même, les idées fausses que l'on s'était faites sur ces rapports,
comme la loi de l'électricité a détruit, non pas la foudre, mais les
superstitions engendrées par l'ignorance des véritables causes de la foudre.
En
résumé : la vue spirituelle est un des attributs de l'Esprit, et constitue
une des perceptions du sens spirituel ; c'est par conséquent une loi de
nature.
L'homme,
étant un Esprit incarné, possède les attributs de l'Esprit et, par suite, les
perceptions du sens spirituel.
A
l'état de veille, ces perceptions sont généralement vagues, diffuses, parfois
même insensibles et inappréciables, parce qu'elles sont amorties par l'activité
prépondérante des sens matériels. Néanmoins on peut dire que toute perception
extra-corporelle est due à l'action du sens spirituel qui, dans ce cas,
surmonte la résistance de la matière.
Dans
l'état de somnambulisme naturel ou magnétique, d'hypnotisme, de catalepsie, de
léthargie, d'extase, et même dans le sommeil ordinaire, les sens corporels
étant momentanément assoupis, le sens spirituel se développe avec plus de
liberté.
Toute
cause extérieure tendant à engourdir les sens corporels, provoque, par cela
même, l'expansion et l'activité du sens spirituel.
Les
perceptions par le sens spirituel ne sont pas exemptes d'erreurs, par la raison
que l'Esprit incarné peut être plus ou moins avancé, et, par conséquent, plus
ou moins apte à juger sainement les choses et à les comprendre, et qu'il est
encore sous l'influence de la matière.
Une
comparaison fera mieux comprendre ce qui se passe en cette circonstance. Sur la
terre, celui qui a la meilleure vue peut être trompé par les apparences ;
longtemps l'homme a cru au mouvement du soleil ; il lui a fallu
l'expérience et les lumières de la science pour lui montrer qu'il était le
jouet d'une illusion. Ainsi en est-il des Esprits peu avancés, incarnés ou
désincarnés ; ils ignorent beaucoup de choses du monde invisible, comme
certains hommes intelligents, du reste, ignorent beaucoup de choses de la
terre ; la vue spirituelle ne leur montre que ce qu'ils savent, et ne
suffit pas pour leur donner les connaissances qui leur manquent ; de là
les aberrations et les excentricités que l'on remarque si souvent chez les
voyants et les extatiques ; sans compter que leur ignorance les met, plus
que d'autres, à la merci des Esprits trompeurs qui exploitent leur crédulité et
plus encore leur orgueil. Voilà pourquoi il y aurait imprudence à accepter sans
contrôle leurs révélations. Il ne faut pas perdre de vue que nous sommes sur la
terre, dans un monde d'expiation, où abondent les Esprits inférieurs, et où les
Esprits réellement supérieurs sont des exceptions ; dans les mondes avancés,
c'est le contraire qui a lieu.
Les
personnes douées de la vue spirituelle peuvent-elles être considérées comme des
médiums ? Oui et non, selon les circonstances. La médiumnité consiste dans
l'intervention des Esprits ; ce que l'on fait par soi-même n'est pas un
acte médianimique. Celui qui possède la vue spirituelle voit par son propre
Esprit, et rien n'implique la nécessité du concours d'un Esprit étranger ;
il n'est pas médium parce qu'il voit, mais par le fait de ses rapports avec
d'autres Esprits. Selon leur nature bonne ou mauvaise, les Esprits qui
l'assistent peuvent faciliter ou entraver sa lucidité, lui faire voir des
choses justes ou fausses, ce qui dépend aussi du but qu'on se propose, et de
l'utilité que peuvent présenter certaines révélations. Ici, comme dans tous les
autres genres de médiumnité, les questions futiles et de curiosité, les
intentions non sérieuses, les vues cupides et intéressées, attirent les Esprits
légers qui s'amusent aux dépens des gens trop crédules et se plaisent à les mystifier.
Les Esprits sérieux n'interviennent que dans les choses sérieuses, et le voyant
le mieux doué peut ne rien voir s'il ne lui est pas permis de répondre à ce
qu'on lui demande, ou être troublé par des visions illusoires pour punir les
curieux indiscrets. Bien qu'il possède en propre sa faculté, et quelque
transcendante qu'elle soit, il ne lui est pas toujours libre d'en user à son
gré. Souvent les Esprits en dirigent l'emploi, et s'il en abuse, il en est le
premier puni par l'immixtion des mauvais Esprits.
Un
point important reste à éclaircir : celui de la prévision des événements
futurs. On comprend la vue des choses présentes, la vue rétrospective du passé,
mais comment la vue spirituelle peut-elle donner à certains individus la
connaissance de ce qui n'existe pas encore ? Pour ne pas nous répéter,
nous renvoyons à notre article du mois de mai 1864 page 129, sur la théorie de
la prescience, où la question est traitée d'une manière complète. Nous n'y
ajouterons que quelques mots. En principe, l'avenir est caché à l'homme par les
motifs qui ont été maintes fois développés ; ce n'est
qu'exceptionnellement qu'il lui est révélé, et encore lui est-il plutôt
pressenti que prédit. Pour le connaître, Dieu n'a donné à l'homme aucun moyen
certain ; c'est donc en vain que ce dernier emploie à cet effet la
multitude des procédés inventés par la superstition, et que le charlatanisme
exploite à son profit. Si parmi les diseurs de bonne aventure, de profession ou
non, il s'en trouve parfois qui soient doués de la vue spirituelle, il est à
remarquer qu'ils voient bien plus souvent dans le passé et le présent que dans
l'avenir ; c'est pourquoi il y aurait imprudence à se fier d'une manière
absolue sur leurs prédictions, et à régler sa conduite en conséquence.