Destruction des Aborigènes du Mexique
On
nous écrit de Bordeaux :
« En
lisant, dans le Civilisateur de Lamartine, les lettres de Christophe Colomb sur
l'état du Mexique au moment de la découverte, le passage suivant a
particulièrement appelé notre attention :
La
nature, dit Colomb, y est si prodigue, que la propriété n'y a pas créé le
sentiment de l'avarice ou de la cupidité. Ces hommes paraissent vivre dans un
âge d'or, heureux et tranquilles au milieu de jardins ouverts et sans bornes,
qui ne sont ni entourés de fossés, ni divisés par des palissades, ni défendus
par des murs. Ils agissent loyalement l'un envers l'autre, sans lois, sans
livres, sans juges. Ils regardent comme un méchant homme celui qui prend
plaisir à faire du mal à un autre. Cette horreur des bons contre les méchants
paraît être toute leur législation.
Leur
religion n'est que le sentiment d'infériorité, de reconnaissance et d'amour
envers l'Être invisible qui leur avait prodigué la vie et la félicité.
Il
n'y a point, dans l'univers, une meilleure nation et un meilleur pays ;
ils aiment leurs voisins comme eux-mêmes ; ils ont toujours un langage
doux et gracieux, et le sourire de la tendresse sur les lèvres. Ils sont nus,
il est vrai, mais vêtus de leur candeur et de leur innocence. »
D'après
ce tableau, ces peuples étaient infiniment supérieurs, non seulement à leurs
envahisseurs, mais ils le seraient encore aujourd'hui en les comparant à ceux
des pays les plus civilisés. Les Espagnols n'ont rien pris de leurs vertus et
leur ont communiqué leurs vices ; en échange de leur bon accueil, ils ne leur
ont apporté que l'esclavage et la mort ; ces malheureux ont été, en grande
partie, exterminés, et le peu qu'il en reste s'est perverti au contact des
conquérants.
« Devant
ces résultats, on se demande :
Où
est le progrès, et quel bien moral l'humanité a recueilli de tant de sang
répandu ? Ne valait-il pas mieux que la vieille Europe ignorât le Nouveau
Monde, si heureux avant cette découverte ?
A
cette question, mon guide spirituel répond :
Nous
te répondrions avec plaisir si ton esprit était en état de traiter en ce moment
un sujet sérieux, nécessitant quelques développements spirito-philosophiques.
Adresse-toi à Kardec ; cet ordre d'idées a déjà été débattu, mais on y
reviendra d'une manière plus lucide que tu ne pourrais le faire, parce que tu as
toujours l'esprit tendu et l'oreille au guet ; c'est une conséquence de ta
position actuelle, il faut t'y soumettre. »
Il
ressort de ceci une première instruction, c'est qu'il ne suffit pas d'être
médium, même formé et développé, pour obtenir à volonté des communications sur
le premier sujet venu. Celui-ci a fait ses preuves, mais, à ce moment, son
propre Esprit, fortement et péniblement préoccupé d'autres choses, ne pouvait
avoir le calme nécessaire. C'est ainsi que mille circonstances peuvent
s'opposer à l'exercice de la faculté médianimique ; la faculté n'en
subsiste pas moins, mais elle n'est rien sans le concours des Esprits, qui le
donnent ou le refusent selon qu'ils le jugent à propos, et cela très souvent
dans l'intérêt même du médium.
Quant
à la question principale, voici la réponse obtenue dans la Société de
Paris :
(8
juillet 1864. ‑ Médium, M. d'Ambel.)
« Sous
les apparences d'une certaine bonté naturelle et avec des mœurs plutôt douces
que vertueuses, les Incas vivaient nonchalamment, sans progresser ni s'élever.
La lutte manquait à ces races primitives, et si les batailles sanglantes ne les
décimaient pas ; si une ambition individuelle n'y exerçait pas une
pression souveraine pour lancer ces peuplades à des conquêtes, elles n'en
étaient pas moins atteintes d'un virus dangereux qui conduisait leur race à
l'extinction. Il fallait retremper les sources vitales de ces Incas abâtardis
dont les Astecs représentaient la décadence fatale qui devait frapper tous ces
peuples. A ces causes toutes physiologiques, si nous joignons les causes
morales, nous remarquons que le niveau des sciences et des arts y était
également resté dans une enfance prolongée. Il y avait donc utilité pour ces
pays paisibles d'être mis au niveau des races occidentales. Aujourd'hui on croit
la race disparue, parce qu'elle s'est fondue avec la famille des conquérants
espagnols. De cette race croisée a surgi une nation jeune et vivace qui, par un
élan vigoureux, ne tardera pas à atteindre les peuples du vieux continent. De
tant de sang versé que reste-t-il, demande-t-on de Bordeaux ? D'abord, le
sang versé n'a pas été aussi considérable qu'on pourrait le croire. Devant les
armes à feu et devant les quelques soldats de Pizarre, toute la contrée envahie
se soumit comme devant des demi-dieux sortis des eaux. C'est presque un épisode
de la mythologie antique, et cette race indienne est, sous plus d'un rapport,
semblable à celles qui défendaient la Toison d'or. »
A
cette judicieuse explication, nous ajouterons quelques réflexions.
Au
point de vue anthropologique, l'extinction des races est un fait positif ;
au point de vue de la philosophie, c'est encore un problème ; au point de
vue de la religion, le fait est inconciliable avec la justice de Dieu, si l'on
admet pour l'homme une seule existence corporelle décidant de son avenir pour
l'éternité. En effet, les races qui s'éteignent sont toujours des races
inférieures à celles qui succèdent ; peuvent-elles avoir dans la vie
future une position identique à celle des races plus perfectionnées ? Le
simple bon sens repousse cette idée, autrement le travail que nous faisons pour
nous améliorer serait inutile, et autant eût valu pour nous rester sauvages. La
non-préexistence de l'âme implique forcément, pour chaque race, la création de
nouvelles âmes plus parfaites à leur sortie des mains du Créateur, hypothèse
inconciliable avec le principe de toute justice. Si l'on admet, au contraire,
un même point de départ pour toutes et une succession d'existences
progressives, tout s'explique.
Dans
l'extinction des races, on ne tient généralement compte que de l'être matériel
qui seul est détruit, tandis qu'on oublie l'être spirituel qui est
indestructible et ne fait que changer de vêtement, parce que le premier n'était
plus en rapport avec son développement moral et intellectuel. Supposons toute
la race nègre détruite, il n'y aura de détruit que le vêtement noir ; mais
l'Esprit, qui vit toujours, revêtira d'abord un corps intermédiaire entre le
noir et le blanc, et plus tard un corps blanc. C'est ainsi que l'être placé au
dernier degré de l'humanité atteindra, dans un temps donné, la somme des
perfections compatibles avec l'état de notre globe.
Il
ne faut donc pas perdre de vue que l'extinction des races n'atteint que le
corps et n'affecte en rien l'Esprit ; celui-ci, loin d'en souffrir, y
gagne un instrument plus perfectionné, pourvu de cordes cérébrales répondant à
un plus grand nombre de facultés. L'Esprit d'un sauvage, incarné dans le corps
d'un savant européen, n'en serait pas plus savant, il ne saurait que faire de son
instrument, dont les cordes inactives s'atrophieraient ; l'Esprit d'un
savant, incarné dans le corps d'un sauvage, y serait comme un grand pianiste
devant un piano manquant de la plupart des cordes. Cette thèse a été développée
dans un article de la Revue du mois d'avril 1862, sur la perfectibilité de la
race nègre.
La
race blanche caucasique est, sans contredit, celle qui occupe le premier rang
sur la terre ; mais a-t-elle atteint l'apogée de la perfection ?
Toutes les facultés de l'âme y sont-elles représentées ? Qui oserait le
dire ? Supposons donc que les Esprits de cette race progressant
continuellement, finissent par s'y trouver à l'étroit, la race disparaîtra pour
faire place à une race d'une organisation plus richement pourvue ; ainsi
le veut la loi du progrès. Déjà, dans la race blanche elle-même, ne voit-on pas
des nuances bien tranchées comme développement moral et intellectuel ? On
peut être certain que les plus avancés absorberont les autres.
La
disparition des races s'opère de deux manières : chez les unes, par
l'extinction naturelle, suite des conditions climatériques et de
l'abâtardissement, lorsqu'elles restent isolées ; chez les autres, par les
conquêtes et la dispersion qui amènent les croisements. On sait que de la race
nègre et de la race blanche est sortie une race intermédiaire de beaucoup
supérieure à la première, et qui est comme un échelon pour les Esprits de
celle-ci. Puis, la fusion du sang amène l'alliance des Esprits dont les plus
avancés aident au progrès des autres. Qui peut prévoir, sous ce rapport, les
conséquences de la dernière guerre de la Chine ? les modifications que
vont produire, dans ce pays si longtemps stationnaire, les nouveaux éléments
physiologiques et psychologiques qui y sont apportés ? Dans quelques
siècles, il ne sera peut-être pas plus reconnaissable que ne l'est le Mexique
d'aujourd'hui comparé à celui du temps de Colomb.
Quant
aux indigènes du Mexique, nous dirons, comme Eraste, qu'il y avait chez eux des
mœurs plutôt douces que vertueuses, et nous ajouterons qu'on a sans doute un
peu trop poétisé leur prétendu âge d'or. L'histoire de la conquête nous apprend
qu'ils se faisaient entre eux la guerre, ce qui n'annonce pas un grand respect
pour les droits de ses voisins. Leur âge d'or était celui de l'enfance ;
ils sont aujourd'hui dans la fougue de la jeunesse ; plus tard, ils
atteindront l'âge viril. S'ils n'ont pas encore la vertu des sages, ils ont
acquis l'intelligence qui les y conduira, quand ils seront mûris par
l'expérience ; mais il faut des siècles pour l'éducation des
peuples ; elle ne s'opère que par la transformation de leurs éléments
constitutifs. La France serait-elle ce qu'elle est aujourd'hui sans la conquête
des Romains ? Et les Barbares se seraient-ils civilisés, s'ils n'avaient
envahi la Gaule ? La sagesse gauloise et la civilisation romaine unies à
la vigueur des peuples du Nord ont fait le peuple français actuel.
Sans
doute il est pénible de penser que le progrès a parfois besoin de la
destruction ; mais il faut bien détruire les vieilles masures pour les
remplacer par des maisons neuves, plus belles et plus commodes. Il faut
d'ailleurs tenir compte de l'état arriéré du globe, où l'humanité n'en est
encore qu'au progrès matériel et intellectuel ; quand elle sera entrée
dans la période du progrès moral et spirituel, les besoins moraux l'emporteront
sur les besoins matériels ; les hommes se gouverneront selon la justice et
n'auront plus à revendiquer leur place par la force ; alors la guerre et
la destruction n'auront plus leur raison d'être ; jusque-là, la lutte est
une conséquence de leur infériorité morale.
L'homme,
vivant plus matériellement que spirituellement, n'envisage les choses qu'au
point de vue actuel et matériel, et par conséquent borné. Jusqu'à présent, il a
ignoré que le rôle capital est à l'Esprit ; il a vu les effets, mais n'a
pas connu la cause, c'est pour cela qu'il s'est si longtemps fourvoyé dans les
sciences, dans ses institutions et dans ses religions. Le Spiritisme, en lui
apprenant la participation de l'élément spirituel dans toutes les choses du
monde, élargit son horizon et change le cours de ses idées ; il ouvre
l'ère du progrès moral.