Quelques
personnes demandent pourquoi la doctrine spirite n'est pas la même dans
l'ancien et le nouveau continent, et en quoi consiste la différence. C'est ce
que nous allons essayer d'expliquer.
Les
manifestations, comme on le sait, ont eu lieu dans tous les temps, aussi bien
en Europe qu'en Amérique, et aujourd'hui qu'on se rend compte de la chose, on
se rappelle une multitude de faits qui étaient passés inaperçus, et l'on en
retrouve une foule consignés dans des écrits authentiques. Mais ces faits
étaient isolés ; dans ces derniers temps, ils se sont produits aux
États-Unis sur une échelle assez vaste pour éveiller l'attention générale des
deux côtés de l'Atlantique. L'extrême liberté qui existe dans ce pays y a
favorisé l'éclosion des idées nouvelles, et c'est pour cela que les Esprits
l'ont choisi pour le premier théâtre de leurs enseignements.
Or,
il arrive souvent qu'une idée prend naissance dans une contrée, et se développe
dans une autre, ainsi qu'on le voit pour les sciences et l'industrie. Sous ce
rapport le génie américain a fait ses preuves, et n'a rien à envier à
l'Europe ; mais s'il excelle en tout ce qui concerne le commerce et les
arts mécaniques, on ne peut refuser à l'Europe celui des sciences morales et
philosophiques. Par suite de cette différence dans le caractère normal des
peuples, le Spiritisme expérimental était sur son terrain en Amérique, tandis
que la partie théorique et philosophique trouvait en Europe des éléments plus
propices à son développement ; aussi est-ce là qu'elle a pris
naissance : en peu d'années elle y a conquis la première place. Les faits
y ont d'abord éveillé la curiosité ; mais les faits constatés et la
curiosité satisfaite, on s'est bientôt lassé d'expériences matérielles sans
résultats positifs ; il n'en a plus été de même dès que se sont déroulés
les conséquences morales de ces mêmes faits pour l'avenir de l'humanité ;
de ce moment le Spiritisme a pris rang parmi les sciences philosophiques ;
il a marché à pas de géant, malgré les obstacles qu'on lui a suscités, parce
qu'il satisfaisait les aspirations des masses, car on a promptement compris
qu'il venait combler un vide immense dans les croyances, et résoudre ce qui
jusqu'alors paraissait insoluble.
L'Amérique
a donc été le berceau du Spiritisme, mais c'est en Europe qu'il a grandi et
fait ses humanités. L'Amérique a-t-elle lieu d'en être jalouse ? Non, car
sur d'autres points elle a eu l'avantage. N'est-ce pas en Europe que les
machines à vapeur ont pris naissance, et n'est-ce pas d'Amérique qu'elles sont
revenues dans des conditions pratiques ? A chacun son rôle selon ses
aptitudes, et à chaque peuple le sien, selon son génie particulier.
Ce
qui distingue principalement l'école spirite dite américaine de l'école
européenne, c'est la prédominance, dans la première, de la partie phénoménale,
à laquelle on s'attache plus spécialement, et, dans la seconde, de la partie
philosophique. La philosophie spirite d'Europe s'est promptement répandue,
parce qu'elle a offert, dès l'abord, un ensemble complet, qu'elle a montré le
but et élargi l'horizon des idées ; c'est incontestablement celle qui
prévaut aujourd'hui dans le monde entier. Les États-Unis se sont, jusqu'à ce
jour, peu écartés de leurs idées premières ; est-ce à dire que, seuls, ils
resteront en arrière du mouvement général ? Ce serait faire injure à
l'intelligence de ce peuple. Les Esprits, d'ailleurs, sont là pour le pousser
dans la voie commune, en y donnant l'enseignement qu'ils donnent ailleurs ;
ils triompheront peu à peu des résistances qui pourraient naître de
l'amour-propre national. Si les Américains repoussaient la théorie européenne,
parce qu'elle vient d'Europe, ils l'accepteront quand elle surgira au milieu
d'eux par la voix même des Esprits ; ils céderont à l'ascendant, non de
l'opinion de quelques hommes, mais à celui du contrôle universel de
l'enseignement des Esprits, ce puissant critérium, ainsi que nous l'avons
démontré dans notre article sur l'autorité de la doctrine spirite ; ce n'est
qu'une question de temps, surtout quand les questions de personnes auront
disparu.
De
tous les principes de la doctrine, celui qui a rencontré le plus d'opposition
en Amérique, et par l'Amérique il faut entendre exclusivement les États-Unis,
c'est celui de la réincarnation ; on peut même dire que c'est la seule
divergence capitale, les autres tenant plutôt à la forme qu'au fond, et cela,
parce que les Esprits ne l'y ont pas enseigné ; nous en avons expliqué les
motifs. Les Esprits procèdent partout avec sagesse et prudence ; pour se
faire accepter, ils évitent de choquer trop brusquement les idées reçues ;
ils n'iront pas dire de but en blanc à un musulman que Mahomet est un
imposteur. Aux États-Unis, le dogme de la réincarnation serait venu se heurter
contre les préjugés de couleur, si profondément enracinés dans ce pays ;
l'essentiel était de faire accepter le principe fondamental de la communication
du monde visible et du monde invisible ; les questions de détail devaient
venir en leur temps. Or, il n'est pas douteux que cet obstacle finira par
disparaître, et qu'un des résultats de la guerre actuelle sera
l'affaiblissement graduel de préjugés qui sont une anomalie chez une nation
aussi libérale.
Si
l'idée de la réincarnation n'est pas encore acceptée aux États-Unis d'une
manière générale, elle l'est individuellement par quelques-uns, sinon comme
principe absolu, du moins avec certaines restrictions, ce qui est déjà quelque
chose. Quant aux Esprits, jugeant sans doute que le moment devient propice, ils
commencent à l'enseigner avec ménagement dans certains endroits, et carrément
dans d'autres ; la question, une fois soulevée, fera son chemin. Du reste,
nous avons sous les yeux des communications déjà anciennes obtenues dans ce
pays, où, sans y être formellement exprimée, la pluralité des existences est la
conséquence forcée des principes émis ; on y voit poindre l'idée. Il n'est
donc pas douteux que, dans un temps donné, ce que l'on appelle encore
aujourd'hui l'école américaine se fondra dans la grande unité qui s'établit de
toutes parts.
Comme
preuve de ce que nous avançons, nous citerons l'article suivant, publié dans
l'Union, journal de San Francisco, et un extrait de la lettre d'envoi qui
l'accompagnait.
« Monsieur
Allan Kardec,
Quoique
je n'aie point l'honneur d'être connue de vous, je prends, comme médium, la
liberté de vous adresser la notice ci-jointe que ces messieurs du journal ont
un peu abrégée ; néanmoins, telle qu'elle est, beaucoup de personnes
paraissent désirer en savoir davantage ; aussi tous vos livres se
répandent, et nos libraires auront bientôt à faire de nouvelles demandes…
Recevez,
etc.
Pauline
Boulay. »