La nécessité du
désintéressement chez les médiums est aujourd'hui tellement passée en
principe, qu'il eût été superflu de publier le fait ci-dessus, s'il
n'eût offert, en dehors de la question principale, un remarquable
exemple de coïncidence et une preuve manifeste d'identité, par la
similitude des pensées et le cachet d'originalité que portent en général
toutes les communications de notre ancien collègue Jobard. C'est à tel
point que lorsqu'il se manifeste spontanément à la Société, il est rare
que, dès les premières lignes, on ne devine pas l'auteur. Aussi ne
s'est-il élevé aucun doute sur l'authenticité de celles que nous venons
de rapporter, tandis que, dans celle qu'on nous avait prié de faire
contrôler, la supercherie sautait aux yeux de quiconque connaît le
langage et le caractère de M. Jobard, ainsi que les principes qu'il
avait constamment professés comme homme et comme Esprit ; il eût été
irrationnel d'admettre qu'il en eût subitement changé au profit des
intérêts matériels d'un individu. La supercherie était maladroite.
Quant à la question du désintéressement, il serait inutile de répéter
tout ce qui a été dit sur ce point, et qui se trouve admirablement
résumé dans les réponses de M. Jobard. Nous y ajouterons seulement une
considération qui n'est pas sans importance.
Certains médiums
exploiteurs croient sauver les apparences en ne faisant payer que les
riches, ou en n'acceptant qu'une rétribution volontaire. En premier
lieu, ce n'en est pas moins un métier, l'exploitation d'une chose
sainte, et un lucre tiré de ce que l'on reçoit gratuitement. Lorsque
Jésus et ses apures enseignaient et guérissaient, ils ne mettaient de
prix ni à leurs paroles ni à leurs soins, et cependant ils n'avaient pas
de rentes pour vivre. D'un autre côté, cette manière d'opérer n'est pas
une garantie de sincérité, et ne met pas à l'abri de la suspicion de
charlatanisme. On sait à quoi s'en tenir sur la philanthropie des
consultations gratuites de certains médecins, et ce que rapportent à
certains marchands les articles qu'ils donnent à perte et quelquefois
pour rien. La gratuité, en certaines occasions, est un moyen d'attirer
la clientèle productive.
Mais il est une autre considération
plus puissante encore. A quel signe reconnaître celui qui peut ou non
paver ? La mise est parfois trompeuse, et souvent un vêtement propre
cache une gêne plus grande que la blouse de l'ouvrier. Faut-il donc
décliner sa pauvreté, ses titres à la charité, ou produire un certificat
d'indulgence ? Qui dit d'ailleurs que le médium, tout en admettant de
sa part la plus entière sincérité, aura la même sollicitude pour celui
qui ne paye pas ou qui paye moins, que pour celui qui paye largement, et
qu'il n'en donnera pas à chacun pour son argent ? Que, si un riche et
un pauvre s'adressent à lui en même temps, il ne fera pas passer le
riche le premier, celui-ci n'eût-il en vue que de satisfaire une vaine
curiosité, tandis que le pauvre, qui attend peut-être une suprême
consolation, sera ajourné ? Involontairement sa conscience sera aux
prises avec la tentation de la préférence ; il sera porté à voir d'un
œil meilleur celui qui paye, alors même qu'il lui jettera avec dédain
une pièce d'or comme à un mercenaire, tandis qu'il regardera tout au
moins avec indifférence les quelques sous que lui tendra timidement le
pauvre honteux. Sont-ce là des sentiments compatibles avec le
Spiritisme ? N'est-ce pas entretenir entre le riche et le pauvre cette
démarcation humiliante qui a déjà fait tant de mal, et que le Spiritisme
doit faire disparaître en prouvant l'égalité du riche et du pauvre
devant Dieu qui ne mesure pas les rayons de son soleil à la fortune, et
qui ne peut y subordonner davantage les consolations du cœur qu'il fait
donner aux hommes par les bons Esprits ses messagers.
A tout
prendre, s'il y avait un choix à faire, nous préfèrerions encore le
médium qui se ferait toujours payer, parce qu'au moins il n'y a pas
d'hypocrisie ; on sait tout de suite à quoi s'en tenir sur son compte.
Au surplus, la multiplicité toujours croissante des médiums dans tous
les rangs de la société et dans le sein de la plupart des familles, ôte à
la médiumnité rétribuée toute utilité et toute raison d'être.
Cette multiplicité tuera l'exploitation, alors même qu'elle ne le serait pas par le sentiment de répulsion qui s'y rattache.
On nous signale la fermeture, dans une ville de province, d'un groupe
ancien et nombreux, organisé dans des vues intéressées. Le chef de ce
groupe avait, ainsi que sa famille, abandonné son état sous le spécieux
prétexte de dévouement à la cause, à laquelle il voulait consacrer tout
son temps ; il y avait substitué les ressources qu'il espérait retirer
du Spiritisme. Malheureusement, l'exploitation de la médiumnité est
tellement discréditée en province que, dans la plupart des villes, celui
qui en ferait métier, eût-il les facultés les plus transcendantes,
n'inspirerait aucune confiance ; il y serait très mal vu, et tous les
groupes sérieux lui seraient fermés. La spéculation ne répondit pas à
l'attente, et le chef de ce groupe se serait plaint à ses habitués,
dit-on, de son état de gêne, et aurait réclamé des secours ; à quoi il
lui fut répondu que s'il était gêné c'était sa faute ; qu'il avait eu le
tort de fermer ses ateliers pour vivre du Spiritisme, et faire payer
les instructions que les Esprits lui donnaient pour rien. Sur ce, il
déclara s'en référer aux Esprits. Sur neuf médiums présents à qui la
question fut posée, huit reçurent des communications blâmant sa manière
d'agir, une seule l'approuva : c'était celle de sa femme. Le chef du
groupe, se soumettant de bonne grâce à l'avis des Esprits, annonça qu'à
partir de ce moment son groupe serait fermé. Il eût sans doute été plus
sage à lui d'écouter plus tôt les conseils qui, depuis longtemps, lui
étaient donnés par des amis sincères du Spiritisme.
Un autre
groupe, dans des conditions à peu près identiques, se vit successivement
déserté par ses habitués, et finalement contraint de se dissoudre.
Ainsi voilà deux groupes qui succombent sous la pression de l'opinion.
On nous écrit que le paragraphe de l'Imitation de l'Evangile, nos 392
et suiv., n'est sans doute pas étranger à ce résultat. Il est du reste
impossible que tout Spirite sincère, comprenant l'essence et les vrais
intérêts de la doctrine, se fasse le défenseur et le soutien d'un abus
qui tendrait inévitablement à la discréditer. Nous les invitons à se
défier des pièges que les ennemis du Spiritisme essayeraient de leur
tendre sous ce rapport. On sait qu'à défaut de bonnes raisons pour le
combattre, une de leurs tactiques est de chercher à le ruiner par
lui-même ; aussi voit-on avec quelle ardeur ils épient les occasions de
le trouver en faute ou en contradiction avec lui-même ; c'est pourquoi
les Esprits nous disent sans cesse de veiller et de nous tenir sur nos
gardes.
Quant à nous, nous n'ignorons pas que notre persistance
à combattre l'abus dont nous parlons ne nous a pas fait des amis de
ceux qui ont vu dans le Spiritisme une matière exploitable, ni de ceux
qui les soutiennent ; mais que nous importe l'opposition de quelques
individus ! Nous défendons un principe vrai, et aucune considération
personnelle ne nous fera reculer devant l'accomplissement d'un devoir.
Nos efforts tendront toujours à préserver le Spiritisme de
l'envahissement de la vénalité ; le moment présent est le plus
difficile, mais à mesure que la doctrine sera mieux comprise, cet
envahissement sera moins à craindre ; l'opinion des masses lui opposera
une barrière infranchissable. Le principe du désintéressement, qui
satisfait à la fois le cœur et la raison, aura toujours les plus
nombreuses sympathies, et l'emportera, par la force des choses, sur le
principe de la spéculation.