Nous
avons rapporté, dans le précédent numéro (page 46), la remarquable guérison
obtenue au moyen de la prière, par les Spirites de Marmande, d'une jeune fille
obsédée de cette ville. Une lettre postérieure confirme le résultat de cette
cure, aujourd'hui complète. La figure de l'enfant, altérée par huit mois de
torture, a repris sa fraîcheur, son embonpoint et sa sérénité.
A
quelque opinion qu'on appartienne, quelque idée que l'on ait sur le Spiritisme,
toute personne animée d'un sincère amour du prochain a dû se réjouir de voir la
tranquillité rentrée dans cette famille, et le contentement succéder à
l'affliction. Il est regrettable que M. le curé de la paroisse n'ait pas cru
devoir s'associer à ce sentiment, et que cette circonstance lui ait fourni le
texte d'un discours peu évangélique dans un de ses prônes. Ses paroles, ayant
été dites en public, sont du domaine de la publicité. S'il se fût borné à une
critique loyale de la doctrine à son point de vue, nous n'en parlerions pas,
mais nous croyons devoir relever les attaques qu'il a dirigées contre les
personnes les plus respectables, en les traitant de saltimbanques, à propos du
fait ci-dessus.
« Ainsi,
a-t-il dit, le premier décrotteur venu pourra donc, s'il est médium, évoquer le
membre d'une famille honorable, alors que nul dans cette famille ne pourra le
faire ? Ne croyez pas à ces absurdités, mes frères ; c'est de la
jonglerie, c'est de la bêtise. Au fait, qui voyez-vous dans ces réunions ?
Des charpentiers, des menuisiers, des charrons, que sais-je encore ?…
Quelques personnes m'ont demandé si j'avais contribué à la guérison de
l'enfant. « Non, leur ai-je répondu ; je n'y suis pour rien ; je
ne suis pas médecin. »
« Je
ne vois là, disait-il aux parents, qu'une affection organique du ressort de la
médecine ; » ajoutant que, s'il avait cru que des prières pussent
opérer quelque soulagement, il en aurait fait depuis longtemps.
Si
M. le curé ne croit pas à l'efficacité de la prière en pareil cas, il a bien
fait de n'en pas dire ; d'où il faut conclure qu'en homme consciencieux,
si les parents fussent venus lui demander des messes pour la guérison de leur
enfant, il en aurait refusé le prix, car, s'il l'eût accepté, il aurait fait
payer une chose qu'il regardait comme sans valeur. Les Spirites croient à
l'efficacité des prières pour les maladies et les obsessions ; ils ont
prié, ils ont guéri, et ils n'ont rien demandé ; bien plus, si les parents
eussent été dans le besoin, ils auraient donné. « Ce sont, dit-il, des
charlatans et des jongleurs. » Depuis quand a-t-il vu les charlatans faire
leur métier pour rien ? Ont-ils fait porter à la malade des
amulettes ? Ont-ils fait des signes cabalistiques ? Ont-ils prononcé
des paroles sacramentelles en y attachant une vertu efficace ? Non, car le
Spiritisme condamne toute pratique superstitieuse ; ils ont prié avec
ferveur, en communion de pensées ; ces prières étaient-elles de la
jonglerie ? Apparemment non ; puisqu'elles ont réussi, c'est qu'elles
ont été écoutées.
Que
M. le curé traite le Spiritisme et les évocations d'absurdités et de bêtises,
il en est le maître, si telle est son opinion, et nul n'a rien à lui dire. Mais
lorsque, pour dénigrer les réunions spirites, il dit qu'on n'y voit que des
charpentiers, des menuisiers, des charrons, etc., n'est-ce pas présenter ces
professions comme dégradantes, et ceux qui les exercent comme des gens
avilis ? Vous oubliez donc, monsieur le curé, que Jésus était charpentier,
et que ses apôtres étaient tous de pauvres artisans ou des pêcheurs. Est-il
évangélique de jeter du haut de la chaire le dédain sur la classe des
travailleurs que Jésus a voulu honorer en naissant parmi eux ? Avez-vous
compris la portée de vos paroles quand vous avez dit : « Le premier
décrotteur venu pourra donc évoquer le membre d'une famille
honorable ? » Vous le méprisez donc bien, ce pauvre décrotteur, quand
il nettoie vos souliers ? Hé quoi ! parce que sa position est humble,
vous ne le trouvez pas digne d'évoquer l'âme d'un noble personnage ? Vous
craignez donc que cette âme ne soit souillée quand, pour elle, s'étendront vers
le ciel des mains noircies par le travail ? Croyez-vous donc que Dieu fait
une différence entre l'âme du riche et celle du pauvre ? Jésus n'a-t-il
pas dit : Aimez votre prochain comme vous-même ? Or, aimer son
prochain comme soi-même, c'est ne faire aucune différence entre soi-même et le
prochain ; c'est la consécration du principe : Tous les hommes sont
frères, parce qu'ils sont enfants de Dieu. Dieu reçoit-il avec plus de
distinction l'âme du grand que celle du petit ? celle de l'homme à qui
vous faites un pompeux service, largement payé, que celle du malheureux à qui
vous n'octroyez que les plus courtes prières ? Vous parlez au point de vue
exclusivement mondain, et vous oubliez que Jésus a dit : « Mon
royaume n'est pas de ce monde ; là, les distinctions de la terre
n'existent plus ; là, les derniers seront les premiers, et les premiers
seront les derniers ? » Quand il a dit : « Il y a plusieurs
demeures dans la maison de mon père, » cela signifie-t-il qu'il y en a une
pour le riche et une pour le prolétaire ? une pour le maître et une pour
le serviteur ? Non ; mais qu'il y en a une pour l'humble et une autre
pour l'orgueilleux, car il a dit : « Que celui qui voudra être le
premier dans le ciel soit le serviteur de ses frères sur la terre. »
Est-ce donc à ceux qu'il vous plaît d'appeler profanes de vous rappeler à
l'Évangile ?
Monsieur
le curé, en toutes circonstances de telles paroles seraient peu charitables,
surtout dans le temple du Seigneur, où ne devraient être prêchées que des
paroles de paix et d'union entre tous les membres de la grande famille ;
dans l'état actuel de la société, c'est une maladresse, car c'est semer des
ferments d'antagonisme. Que vous ayez tenu un tel langage à une époque où les
serfs, habitués à plier sous le joug, se croyaient d'une race inférieure, parce
qu'on le leur avait dit, on le concevrait ; mais dans la France
d'aujourd'hui, où tout honnête homme a le droit de lever la tête, qu'il soit
plébéien ou patricien c'est un anachronisme.
Si,
comme il est probable, il y avait dans l'auditoire des charpentiers, des
menuisiers, des charrons et des décrotteurs, ils ont dû être médiocrement
touchés de ce discours ; quant aux Spirites, nous savons qu'ils ont prié
Dieu de pardonner à l'orateur ses imprudentes paroles, qu'ils ont eux-mêmes
pardonné à celui qui leur disait : Racca ; c'est le conseil que nous
donnons à tous nos frères.