REVUE SPIRITE JOURNAL D'ETUDES PSYCHOLOGIQUES - 1864

Allan Kardec

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Frédégonde



Nous donnons ci-après les deux évocations de l'Esprit de Frédégonde, faites dans la Société à un mois d'intervalle, et qui forment le complément des deux précédents articles sur la possession de mademoiselle Julie. Cet Esprit ne s'est point manifesté avec des signes de violence, mais il écrivait avec une très grande difficulté et fatiguait extrêmement le médium, qui en fut même indisposé, et dont les facultés semblaient en quelque sorte paralysées. Dans la prévision de ce résultat, nous avions eu soin de ne pas confier cette évocation à un médium trop délicat.

Dans une autre circonstance, un Esprit, interrogé sur le compte de celui-ci, avait dit que, depuis longtemps il cherchait à se réincarner, mais que cela ne lui avait pas été permis, parce que son but n'était point encore de s'améliorer, son but étant, au contraire, d'avoir plus de facilité pour faire le mal à l'aide d'un corps matériel. De telles dispositions devaient rendre sa conversion fort difficile ; elle ne le fut cependant pas autant qu'on pouvait le craindre, grâce, sans doute, au concours bienveillant de toutes les personnes qui y ont participé, et peut-être aussi parce que le temps était venu où cet Esprit devait entrer dans la voie du repentir.



16 octobre 1863  Médium, M. Leymarie.

1. Evocation.  Rép. Je ne suis pas Frédégonde ; que me voulez-vous ?

2. Qui êtes-vous donc ?  R. Un Esprit qui souffre.

3. Puisque vous souffrez, vous devez désirer ne plus souffrir ; nous vous assisterons, car nous compatissons avec tous ceux qui souffrent en ce monde et en l'autre ; mais il faut que vous nous secondiez, et, pour cela, il faut que vous priiez.  R. Je vous en remercie, mais je ne puis prier.

4. Nous allons prier, cela vous aidera ; ayez confiance en la bonté de Dieu, qui pardonne toujours à celui qui se repent.  R. Je vous crois ; priez, priez ; peut-être je pourrai me convertir.

5. Mais il ne suffit pas que nous priions, il faut prier de votre côté.  R. J'ai voulu prier, et je n'ai pas pu ; maintenant je vais essayer avec votre aide.

6. Dites avec nous : Mon Dieu, pardonnez-moi, parce que j'ai péché ; je me repens du mal que j'ai fait.  R. Je le dis ; après.

7. Cela ne suffit pas ; il faut l'écrire.  R. Mon…. (Ici l'Esprit ne peut écrire le mot Dieu ; ce n'est qu'après force encouragements qu'il parvient à terminer la phrase, d'une manière saccadée et peu lisible.)

8. Il ne faut pas dire cela pour la forme ; il faut le penser, et prendre la résolution de ne plus faire le mal, et vous verrez qu'aussitôt vous serez soulagée.  R. Je vais prier.

9. Si vous avez prié sincèrement, n'en éprouvez-vous pas du mieux ?  R. Oh ! si !

10. Maintenant, donnez-nous quelques détails sur votre vie et sur les causes de votre acharnement contre Julie ?  R. Plus tard… je dirai… mais je ne puis aujourd'hui.

11. Promettez-vous de laisser Julie en repos ? Le mal que vous lui faites retombe sur vous et augmente vos souffrances.  R. Oui, mais je suis poussée par d'autres Esprits plus mauvais que moi.

12. C'est une mauvaise excuse que vous donnez là pour vous disculper ; dans tous les cas, vous devez avoir une volonté, et avec de la volonté on peut toujours résister aux mauvaises suggestions.  R. Si j'avais eu de la volonté, je ne souffrirais pas ; je suis punie parce que je n'ai pas su résister.

13. Vous en montriez cependant assez pour tourmenter Julie ; mais vous venez de prendre de bonnes résolutions, nous vous engageons à y persister, et nous prierons les bons Esprits de vous seconder.

Remarque.  Pendant cette évocation, un autre médium obtenait de son guide spirituel une communication contenant entre autres choses ce qui suit : « Ne vous inquiétez pas des dénégations que vous remarquez dans les réponses de cet Esprit : son idée fixe de se réincarner lui fait repousser toute solidarité avec son passé, bien qu'elle n'en supporte que trop les effets. Elle est bien celle qui a été nommée, mais elle n'en veut pas convenir avec elle-même. »



13 novembre 1863.

14. Evocation.  R. Je suis prête à répondre.

15. Avez-vous persisté dans la bonne résolution où vous étiez la dernière fois ?  R. Oui.

16. Comment vous en êtes-vous trouvée ?  R. Très bien, car j'ai prié et je suis plus calme, bien plus heureuse.

17. Nous savons en effet que Julie n'a plus été tourmentée. Puisque vous pouvez vous communiquer plus facilement, voulez-vous nous dire pourquoi vous vous acharniez après elle ?  R. J'étais oubliée depuis des siècles, et je désirais que la malédiction qui couvre mon nom cessât un peu, afin qu'une prière, une seule, vînt me consoler. Je prie, je crois en Dieu ; maintenant je puis prononcer son nom, et certes c'est plus que je ne pouvais attendre du bienfait que vous pouvez m'accorder.

Remarque.  Dans l'intervalle de la première à la seconde évocation, l'Esprit était appelé tous les jours par celui de nos collègues qui était chargé de l'instruire. Un fait positif, c'est qu'à partir de ce moment mademoiselle Julie a cessé d'être tourmentée.

18. Il est fort douteux que le seul désir d'obtenir une prière ait été le mobile qui vous portait à tourmenter cette jeune fille ; vous voulez sans doute encore chercher à pallier vos torts ; dans tous les cas, c'était un mauvais moyen d'attirer sur vous la compassion des hommes.  R. Cependant si je n'avais pas tourmenté fortement Julie, vous n'auriez pas songé à moi, et je ne serais pas sortie du misérable état où je languissais. Il en est résulté une instruction pour vous et un grand bien pour moi, puisque vous m'avez ouvert les yeux.

19. (Au guide du médium.) Est-ce bien Frédégonde qui fait cette réponse ?  R. Oui, c'est elle, un peu aidée, il est vrai, parce qu'elle est humiliée ; mais cet Esprit est beaucoup plus avancé en intelligence que vous ne croyez ; il lui faut le progrès moral dont vous l'aidez à faire le premier pas. Elle ne vous dit pas que Julie tirera un grand profit de ce qui s'est passé pour son avancement personnel.

20. (A Frédégonde.) Mademoiselle Julie vivait-elle de votre temps, et pourriez-vous nous dire ce qu'elle était ?  R. Oui ; c'était une de mes suivantes, appelée Hildegarde ; une âme souffrante et résignée qui a fait ma volonté ; elle subit la peine de ses services trop humbles et trop complaisants à mon égard.

21. Désirez-vous une nouvelle incarnation ?  R. Oui, je la désire. O mon Dieu ! j'ai souffert mille tortures, et si j'ai mérité une peine bien juste, hélas ! il est temps que je puisse, à l'aide de vos prières, recommencer une existence meilleure, afin de me laver de mes anciennes souillures. Dieu est juste ; priez pour moi. Jusqu'à ce jour j'avais méconnu toute l'étendue de ma peine ; j'avais la vue voilée et comme le vertige ; mais à présent je vois, je comprends, je désire le pardon du Maître avec celui de mes victimes. Mon Dieu, que c'est doux le pardon !

22. Dites-nous quelque chose de Brunehaut ?  R. Brunehaut !… Ce nom me donne le vertige… Elle est la grande faute de ma vie, et j'ai senti ma vieille haine se réveiller à ce nom !… Mais mon Dieu me pardonnera, et je pourrai désormais écrire ce nom sans frémir. Plus heureuse que moi, elle est réincarnée pour la deuxième fois, et remplit un rôle que je désire, celui d'une sœur de charité.

23. Nous sommes heureux de votre changement, nous vous y encouragerons, nous vous soutiendrons de nos prières.  R. Merci ! merci ! bons Esprits, Dieu vous le rendra.

Remarque.  Un fait caractéristique chez les mauvais Esprits, c'est l'impossibilité où ils sont souvent de prononcer ou d'écrire le nom de Dieu. Cela dénote sans doute une mauvaise nature, mais en même temps un fond de crainte et de respect que n'ont pas les Esprits hypocrites, moins mauvais en apparence ; ces derniers, loin de reculer devant le nom de Dieu, s'en servent effrontément pour capter la confiance. Ils sont infiniment plus pervers et plus dangereux que les Esprits franchement méchants ; c'est dans cette classe qu'un trouve la plupart des Esprits fascinateurs, dont il est bien plus difficile de se débarrasser que des autres, parce que c'est de l'Esprit même qu'ils s'emparent à l'aide d'un faux semblant de savoir, de vertu ou de religion, tandis que les autres ne s'emparent que du corps. Un Esprit qui, comme celui de Frédégonde, recule devant le nom de Dieu, est bien plus près de sa conversion que ceux qui se couvrent du masque du bien. Il en est de même parmi les hommes, où vous retrouvez ces deux catégories d'Esprits incarnés.



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