(Extrait
de la Cyropédie de Xénophon, liv. VIII, ch. VII.)
Je
vous conjure donc, mes enfants, au nom des dieux de notre patrie, d'avoir des
égards l'un pour l'autre, si vous conservez quelque désir de me plaire :
car je ne m'imagine pas que vous regardiez comme certain que je ne serai plus
rien quand j'aurai cessé de vivre. Mon âme a été jusqu'ici cachée à vos
yeux ; mais à ses opérations, vous reconnaissiez qu'elle existait.
N'avez-vous
pas remarqué de même de quelles terreurs sont agités les homicides par les âmes
des innocents qu'ils ont fait mourir, et quelles vengeances elles tirent de ces
impies ? Pensez-vous que le culte qu'on rend aux morts se fût constamment
soutenu si l'on eût cru leurs âmes destituées de toute puissance ? Pour
moi, mes enfants, je n'ai jamais pu me persuader que l'âme, qui vit tant
qu'elle est dans un corps mortel, s'éteigne dès qu'elle en est sortie ;
car je vois que c'est elle qui vivifie ces corps destructibles, tant qu'elle
les habite. Je n'ai jamais pu non plus me persuader qu'elle perd sa faculté de
raisonner au moment où elle se sépare d'un corps incapable de
raisonnement ; il est naturel de croire que l'âme, alors plus pure et dégagée
de la matière, jouit pleinement de son intelligence. Quand un homme est mort,
on voit les différentes parties qui le composaient se joindre aux éléments
auxquels elles appartiennent : l'âme seule échappe aux regards, soit
durant son séjour dans le corps, soit lorsqu'elle le quitte.
Vous
savez que c'est pendant le sommeil, image de la mort, que l'âme approche le
plus de la Divinité, et que dans cet état, souvent elle prévoit l'avenir, sans
doute parce qu'alors elle est entièrement libre.
Or,
si les choses sont comme je le pense, et que l'âme survive au corps qu'elle
abandonne, faites, par respect pour la mienne, ce que je vous recommande ;
si je suis dans l'erreur, si l'âme demeure avec le corps et périt avec lui,
craignez du moins les dieux qui ne meurent point, qui voient tout, qui peuvent
tout, qui entretiennent dans l'univers cet ordre immuable, inaltérable,
invariable, dont la magnificence et la majesté sont au-dessus de l'expression.
Que
cette crainte vous préserve de toute action, de toute pensée qui blesse la
piété ou la justice… Mais je sens que mon âme m'abandonne ; je le sens aux
symptômes qui annoncent ordinairement notre dissolution.
Remarque.
‑ Un Spirite aurait bien peu de chose à ajouter à ces remarquables paroles,
dignes d'un philosophe chrétien, et où se trouvent admirablement décrits les
attributs spéciaux du corps et de l'âme : le corps matériel, destructible,
dont les éléments se dispersent pour s'unir aux éléments similaires, et qui,
pendant la vie, n'agit que par l'impulsion du principe intelligent ; puis
l'âme survivant au corps, conservant son individualité, et jouissant de plus
grandes perceptions lorsqu'elle est dégagée de la matière ; la liberté de
l'âme pendant le sommeil ; enfin l'action de l'âme des morts sur les vivants.
On
peut, en outre, remarquer qu'il y est fait une distinction entre les dieux et
la Divinité proprement dite. Les dieux n'étaient autres que les Esprits à
différents degrés d'élévation, chargés de présider, chacun dans sa spécialité,
à toutes les closes de ce monde, dans l'ordre moral ou dans l'ordre matériel.
Les dieux de la patrie étaient les Esprits protecteurs de la patrie, comme les
dieux lares étaient les protecteurs de la famille. Les dieux, ou Esprits
supérieurs, ne se communiquaient aux hommes que par l'intermédiaire d'Esprits
subalternes, appelés démons. Le vulgaire n'allait pas au delà ; mais les
philosophes et les initiés reconnaissaient un Être suprême, créateur et
ordonnateur de toutes choses.